C’est en Italie que Banksy fait de nouveau parler de lui. Sa présence en marge de la Biennale de Venise il y a quelques jours a marqué une nouvelle fois les esprits, mais c’est à Milan, dans l’environnement feutré des salles de tribunaux, que s’est jouée une partie bien plus intéressante il y quelques semaines. Banksy attaque en justice une exposition non autorisée de ses travaux. Ce n’est pourtant pas la première… alors pourquoi ce changement de stratégie ?
Cette affaire débute en janvier. La société Pest Control Office Limited porte plainte contre la société 24 Ore Cultura, organisatrice de l’exposition au MUDECde Milan sous le titre : The Art of Banksy, a Visual Protest. Pest Control, la bien nommée, n’est autre que la structure officielle mise en place par Banksy depuis 2007 pour s’occuper de la bonne gestion de son “patrimoine.” Elle permet notamment de contrôler et de valider l’authenticité, certificat à la clef, des œuvres de l’artiste en circulation et de lutter contre les faux, très nombreux. C’est aussi la seule entité officielle en lien direct avec l’artiste. Et il semble que les protestations de Banksy ne soient pas que visuelles…
The Art of Banksy, a Visual Protest
En ligne de mire de cette action juridique inédite : une exposition payante des travaux de l’artiste qui s’est déroulée du 21 novembre 2018 au 14 mars 2019 au MUDEC, un musée de la ville de Milan. Rien de nouveau a priori. Ces “fausses” expositions organisées sans l’autorisation de Banksy sont courantes aux quatre coins du monde. Cette dernière figurait d’ailleurs sur la page Showsdu site Internet officielde l’artiste, qui recense tous les événements payants estampillés Banksy et ne bénéficiant pas de son aval.
De nombreuses expositions de Banksy voient le jour un peu partout dans le monde ces derniers temps. Le succès est bien souvent au rendez-vous. Pourtant l’artiste s’y oppose. En effet, Banksy a une ligne de conduite très précise, et parmi les impératifs liés à la présentation de ses travaux figure la gratuité. Hors ces événements sont tous payants, à des tarifs pouvant aller de quelques dollars à presque 50$. L’exposition du MUDEC de Milan, ne faisait pas exception à cette règle et il fallait s’acquitter d’un droit d’entrée de 19$ pour avoir le droit de voir les travaux de l’artiste qui sont, à chaque fois, des œuvres issues de collections privées. Une bonne manière de montrer du Banksy en contournant son interdiction de le faire dans ces conditions… La question est alors la suivante : pourquoi Banksy engage-t-il une procédure contre l’exposition de Milan et pas systématiquement contre toutes les autres ?
Vous savez que ça n’a rien à voir avec moi. Je ne fais paspayer les gens pour voir mon art sauf s’il y a une grande roue.
Banksy, Instagram
Les chefs d’accusations sont nombreux et se situent à un niveau de contentieux de type commercial. Il s’agit de définir et de contrôler l’utilisation du terme générique de Banksy qui, fait intéressant, est enregistré comme une marque. Mais il s’agit également de la vente d’un catalogue, édité et vendu par le MUDEC et jugé concurrentiel, et de l’utilisation de travaux emblématiques de l’artiste, comme la Petite fille au ballon ou le Lanceur de fleurs, sans aucune forme d’autorisation de la part de Banksy.
Ce qui est intéressant ici, ce n’est pas la procédure en elle-même, mais bien plus le fait que Banksy passe à l’offensive, alors que jusque là il se bornait à exprimer son mécontentement sur son site Internet ou son compte Instagram officiel. Son terrain restait l’action illégale, l’opération coup de poing pour tenter de découper une œuvre lors d’une vente aux enchères… Serait-il en train de devenir procédurier ?
Le tribunal a rendu un verdict en grande partie en faveur de l’exposition. L’utilisation du nom de Banksy a été jugé conforme à la description de l’exposition et logique en relation au contenu présenté. Au sujet de la question des oeuvres de Banksy utilisées pour la promotion de l’événement, le tribunal a décidé qu’elles ne constituaient pas une violation du droit d’auteur, puisqu’elles correspondent aux travaux présentés dans le cadre de l’exposition.
Le seul point retenu comme valide est celui concernant la vente de produits dérivés dans la boutique du musée. Des mugs, agendas, stylos et autres magnets flanqués de reproductions de travaux emblématiques de Banksy. Une hérésie qui, bien loin d’être un détail, est le point central de cette action en justice de l’artiste.
C’est aussi et avant tout une situation dont l’ironie prête à sourire !
Banksy vs The Gift Shop
Cette affaire fait inévitablement référence au documentaire Faites le mur, réalisé par Banksy en 2010 et nominé aux Oscars l’année suivante. Une création loufoque censée présenter Banksy et le street art et s’apparentant plus à une blague aux accents sarcastiques. On y découvre un français habitant à Los Angeles décidé à filmer de façon compulsive les artistes de street art qu’il rencontre et devenant, par un tour de passe passe un street artist connu et bien réel du nom de Mr Brainwash. Un film à regarder, avec l’esprit ouvert et une bonne dose de second degré.
Faire un film qui évoque l’expressivité de la création artistique et la sensation physique qu’elle procure est très difficile. Du coup, on n’a même pas essayé.
Banksy, in Faites le mur, dossier de presse, Le Pacte, 2010, p.8
Dans le cas présent, il est important de rappeler le titre original de ce film : Exit Through The Gift Shop, que l’on peut traduire littéralement par : “Sortie par la boutique de souvenirs,” en référence aux boutiques situées à la sortie des musées et par laquelle on est obligé de passer, comme ces circuits imposés dans les magasins Ikea. On y trouve des étalages de produits dérivés transformant les oeuvres des artistes en simples objets de consommation destinés à faire du chiffre d’affaire. Et Banksy n’y a pas échappé. Signe de succès ou simple volonté de faire de l’argent, la boucle était bouclée.
“Une aventure qui pourrait inspirer le début d’une mauvaise blague commençant par : C’est l’histoire d’un vandale qui porte plainte contre un musée pour non respect de ses dégradations…”
Hugues BERNARD
Comment Banksy pouvait-il rester sans réagir face à ce retournement de situation aussi savoureux qu’ironique ? Et comment ne pas penser au premier titre qu’il souhaitait donner à son documentaire et qui était : “Comment vendre de la m**** à des c***” ?! A l’époque de la réalisation de ce film, ce titre faisait référence à la médiocrité sans fond qui pouvait se vendre dans le monde de l’art avec une bonne campagne de communication. Banksy n’avait très certainement même pas pensé à sa Petite fille au ballon permettant d’accrocher la liste des courses sur un frigo…
Nous venons d’assister à une nouvelle étape de l’aventure Banksy, qui se résume à Banksy vs The Gift Shop, un étonnant revirement de situation aussi drôle que pathétique, qui fait résonner le documentaire Exit Through The Gift Shop comme une prémonition de l’artiste. Il serait presque possible de le traduire par Banksy va droit dans le mur , en référence au titre français, Faites le mur, de son documentaire.
Le monde de l’art, musées et salles d’exposition en tête, ne cessent de provoquer Banksy en réalisant des événements payants sans son accord. Ses pochoirs de street art sont découpés et vendus, sans aucune forme de respect vis-à-vis de la volonté de l’artiste, ni même de la réalité contextuelle et éphémère inhérente à cette pratique artistique contemporaine.
La démarche de Banksy, depuis ses débuts à la fin des années 1990, est fondée sur un principe de gratuité, de libre accès et de distance savamment entretenue avec les institutions artistiques. Un jeu du chat et de la souris qui a fait couler beaucoup d’encre depuis. Banksy semblait s’en amuser, ce n’est peut-être plus réellement le cas. Ce violent rappel à l’ordre étalé sur des magnets et des stylos l’oblige à se positionner de façon plus agressive et procédurière en mettant en place un cadre de défense. Une chose est certaine, si Banksy décide de sortir de son mutisme et d’utiliser les voies légales pour se défendre, certains Stefan Keszler et autre spéculateurs du street art vont commencer à trembler…
Auteur : Hugues BERNARD
A lire : Banksy® Dr Vandale et Mr Art, éditions L’Harmattan, Paris, 2019
Sources
– Artslife.com : Banksy porta in tribunale il Mudec
– Ninjamarketing.it : La denuncia di Banksy al Mudec
– Isole24ore.com : Legittimo usare «Banksy» per catalogo e mostra